Ch. I. 1. Que cet Epoux si solennellement promis, si longtemps attendu, si ardemment désiré, vienne donc enfin et » qu’il me donne un baiser de sa bouche ! « (ou des baisers).
L’âme aspire à l’union divine. C’est aux anges, sans doute, qu’elle s’adresse. La bouche du Seigneur, c’est-à-dire sa miséricorde, renferme une infinité de baisers pour l’homme : baiser de père, baiser de la création ; baiser de frère, baiser de l’incarnation ; baiser d’ami, baiser de la Rédemption ; baiser de médecin, baiser de la justification ; baiser de pasteur, baiser de tendre affection ; baiser de mère, baiser de la communion ; baiser de Roi, baiser de prédilection ; baiser de Dieu, baiser d’attraction ; baiser de maître, baiser d’illumination ; baiser de confident, baiser de communication ; baiser d’époux, baiser d’union. C’est le plus ineffable, le plus doux, le plus réservé. Il suppose au plus haut point de la dilection tous ceux qui le précèdent, et appelle tous ceux qui le suivent. L’idiome humain n’a pas le secret de leurs noms, mais ils ont tous pour fin de resserrer toujours davantage les liens sacrés de l’amour réciproque. Par tous les autres baisers, le Seigneur s’approche de l’âme, mais par celui de l’union, il élève l’âme jusqu’à sa Majesté, il la divinise en quelque sorte en la prenant pour épouse. Celle-ci méritera d’être traitée comme telle, si, aidée de la grâce, elle se maintient dans un détachement absolu de toute créature, ce qui constitue pour l’épouse l’innocence de mśurs, et dans une profonde humilité, qui la fera sans cesse ressouvenir de sa première condition.
Comme il ne manque jamais d’arriver, l’Epoux était survenu pendant que l’épouse parlait de lui. Mon Bien-Aimé, s’écria-t-elle en le voyant, venez éteindre la soif dont mon âme est brûlée et qu’elle désaltérera si pleinement en vous, car » Vos mamelles sont meilleures que le vin « le plus excellent. Donc, elle les a savourées ! Oui, mais quelles sont-elles ? L’une est la grâce qui fortifie, l’autre, l’onction de la grâce qui délecte et rafraîchit ; l’une est la pénitence qui guérit, l’autre, l’Eucharistie qui nourrit ; l’une est la connaissance de soi-même qui renouvelle, l’autre, la connaissance de Dieu qui enivre. L’une est l’amour qui réchauffe, l’autre, l’embrasement de l’amour qui consume. Elles sont donc meilleures que le vin, puisqu’elles en ont toutes les propriétés avec avantage et une infinité d’autres.
2. » Elles ont l’odeur des parfums les plus précieux. « Non des fleurs, mais des vertus ; non de la terre, mais du ciel, comme ayant pour source l’infinie bonté de Dieu. Elles attirent les purs, raniment les languissants, embrasent les fervents. » Votre nom est comme une tache d’huile de senteur qu’on a répandue, « et dont l’odeur ravit tous ceux qui la respirent. L’épouse l’a expérimenté, le nom de Jésus est une huile qui pourvoit à tous les besoins spirituels. L’épouse a mérité, par sa pureté virginale, de devenir, même corporellement, un des vases précieux qui la renferment, et d’où elle déborde …. Répandue en son esprit pour l’éclairer, en son cśur pour le nourrir, en sa volonté pour la fortifier, sur ses plaies pour les guérir, elle se répand autour d’elle par ses paroles, par ses śuvres, par ses prières, jusqu’aux extrémités du monde. Ou encore : » Votre nom est une huile répandue et dont l’odeur est celle des parfums les plus précieux, « qui sont ceux de la divinité, Jésus étant Dieu ; de la grâce, Jésus étant l’auteur de la grâce, de la sainteté, Jésus étant le Saint des saints. Quiconque ne croit pas seulement ces vérités avec l’épouse, mais en vit, à son exemple, sera comme elle imprégné de ces arômes célestes et conservé par leur vertu dans une intégrité parfaite, à l’honneur de celui qui les exhale avec d’autant plus de profusion qu’il en est plus abondamment rempli. » C’est pourquoi les jeunes filles vous aiment. « Les jeunes filles, c’est-à-dire les âmes innocentes, dont le goût intérieur n’a point été dépravé par les passions, et qui ont conservé, avec le don de la foi, la virginité de l’odorat spirituel. Oui, celles-là aiment le Christ avec passion, comme ayant découvert en lui la souveraine beauté, la suprême bonté, l’infinie perfection ; c’est cet amour passionné qui en fait ses épouses, en leur faisant dédaigner tout ce qui n’est pas lui.
3. » Entraînez-moi après vous et nous courrons à l’odeur de vos parfums. « Quelqu’éprise que je sois de vos charmes, quelque désir que je ressente de vous imiter, ô mon tendre Epoux ! je confesse que je ne le puis sans le secours de votre grâce. Donnez-la-moi donc, ô mon Bien-Aimé ! » Entraînez-moi après vous, « avec mes chastes compagnes, » et nous courrons « toutes ensemble, » à l’odeur de vos parfums, « c’est-à-dire de vos saints exemples, plus propres encore, s’il est possible que vos divines paroles, à faire vaincre les difficultés de la route. Ou encore simplement : » Entraînez-moi après vous, nous courrons, « pour nous apprendre peut-être que la véritable épouse de l’Agneau ne se cherche pas en le cherchant, l’aime et le sert, non pour le plaisir qu’elle y trouve, ou pour les avantages qu’elle en espère, plaisirs et avantages bien symbolisés par l’odeur des parfums, mais pour lui-même, purement et simplement. Par la suavité des mystiques onguents de l’Epoux, l’Eglise, véritable épouse du Christ, souhaite que ses enfants se contentent de la solide substance du pur amour, elle demande et reçoit, pour ceux qui n’en ont pas la force, les douceurs de cet amour, ou au moins les émanations entraînantes de la présence sensible du Bien-Aimé. L’âme qui a l’honneur d’être épouse doit, pour les âmes qu’elle lui engendre spirituellement, s’inspirer de la tendresse de la sainte église.
» Le roi m’a fait entrer dans ses celliers, « pour m’enivrer du vin de cet amour qui l’a porté à se revêtir de la forme de l’esclave et à vouloir être traité comme tel, afin de me délivrer de l’esclavage du péché et me faire reine en m’épousant, moi, la dernière de ses créatures …. Et comme il arrive quand on a une grande charité, l’épouse suppose à ses compagnes les sentiments qui la remplissent, et s’écrie dans le transport de la reconnaissance : » Nous nous réjouirons en vous. « malgré nos tristesses, » et nous serons ravies de joie, « au sein des tribulations, » en nous souvenant que vos mamelles sont meilleures que le vin, « le plus excellent, en nous rappelant les grâces dont vous nous avez comblées et celles que nous pouvons encore attendre d’un amour comme le vôtre. Ou encore : » Le roi m’a fait entrer dans ses appartements secrets, « c’est-à-dire dans son intimité, pour me découvrir ce qu’il y a d’obscur dans ses mystères, de caché dans ses oracles, de profond dans ses conseils ; pour me révéler l’énigme du passé, me dévoiler l’avenir. Il m’a introduite dans ses appartements secrets, c’est-à-dire dans les cieux, dans les hiérarchies angéliques, dans les chśurs des saints, dans ces lieux sacrés où les vierges peuvent seules le suivre. Il m’a introduite dans ses appartements secrets, c’est-à-dire dans son intérieur, dans l’essence de sa nature divine, dans le sein du Père, où il est engendré de toute éternité d’une manière ineffable, dans l’éternité du Saint-Esprit, dans les attributs divins communs, aussi bien que la nature, aux divines Personnes.
Mais si, nous bornant aux conjectures, nous interrogeons l’épouse pour savoir à quel dessein le Roi l’a conduite dans ses appartements dérobés, nous trouverons, en y réfléchissant, que, tant afin que nous tournions entièrement vers lui, que pour que nous aidions l’épouse à le remercier de s’être si miséricordieusement tourné vers elle, d’avance, elle a satisfait à notre pieuse curiosité. C’est à dessein de lui accorder quelque grâce de choix, bien représentée en son langage mystique par l’épanchement des mamelles de l’Epoux en faveur de l’épouse, épanchement qui exprime admirablement ce que la tendresse a de plus doux, de plus merveilleux, de plus singulier, de plus délicieux, de plus familier, et en même temps de plus chaste, d’où vient que l’épouse, en un autre endroit, atteste que les mamelles de l’Epoux sont odoriférantes. Faut-il s’étonner, après cela, de lui dire qu’il suffit d’avoir un cśur droit pour être amoureux de son Bien-Aimé ? » Ceux qui ont le coeur droit vous aiment. «
4. » Je suis noire, mais je suis belle, ô Filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon. « Le mépris que j’ai pour moi-même, qui me noircit à mes propres yeux, les soupçons et les calomnies qui me noircissent aux yeux des autres, ajoutent encore aux attraits que j’ai pour mon Bien-Aimé. La pauvreté, la modestie, la simplicité de mon extérieur, me donnent à ses yeux de nouveaux charmes, et le recueillement, que je garde en sa considération, lui rend le séjour de mon âme très agréable. N’en soyez pas surprises, ô mes chères compagnes, car étant sage et la sagesse même, il aime que tout lui soit assujetti ; étant Epoux et Epoux-Dieu, il veut que son épouse soit tout occupée de Lui, comme il est tout occupé d’elle.
5. » Ne considérez pas que je suis brune (comme un défaut qui me soit naturel), car c’est le soleil qui m’a ôté ma (première) couleur. «
Ce que l’épouse a en vue, ce sont les persécutions dont elle a été l’objet de la part des gens de bien, les travaux dont elle a été surchargée, les sollicitudes auxquelles son âme a été en proie pour son salut et sa perfection, se voyant aux prises avec toutes sortes d’ennemis et de dangers, car elle ajoute incontinent : » Les enfants de ma mère m’ont fait la guerre, ils m’ont mise dans les vignes pour les garder et je n’ai pas gardé ma propre vigne. «
Elle avait dit encore : » Le soleil (ou l’Epoux) a porté sur moi ses regards, il m’a brûlée de ses rayons. « La contemplation assidue des perfections du Bien-Aimé, jointe à ses divines opérations, étiole et consume incomparablement plus que les rigueurs de la pénitence, laquelle n’est jamais séparée de la vraie oraison, à moins que Dieu ne la remplace par la maladie, ou n’en prive par l’obéissance.
6. » Indiquez-moi, ô vous qui êtes le Bien-Aimé de mon âme, où vous menez paître (votre troupeau) et où vous vous reposez à midi, de peur que je ne m’égare en suivant les troupeaux de vos compagnons. «
Le troupeau de Jésus-Christ c’est l’église, dont une des plus belles portions est celle des vierges, destinée qu’elle est à suivre le divin Agneau partout où il va. A cause de ce privilège, cette portion virginale du troupeau forme comme un bercail à part, qu’on peut bien croire être celui que l’Epoux a ici en vue, puisque, étant vierge, elle est appelée à jouir de ces précieux avantages. L’épouse donc s’informe auprès de l’Epoux, des prés où il mène paître le chaste troupeau de ses épouses, et des ombrages sous lesquels il les fait reposer avec lui, au midi de sa gloire. Elle craint, avec raison, de s’égarer en suivant les conseils et les exemples du grand nombre, ou bien son propre esprit. Fuite de créatures, silence exact, retraite sévère, oraison continuelle, humilité profonde, soumission entière, pauvreté parfaite, pureté angélique, immolation de tout soi-même, charité sans bornes, tels sont les sentiers de la virginité que l’Agneau a lui-même parcourus ! Il est vrai que la virginité, accompagnée de la grâce, donnera entrée dans ces mystérieux domaines que le Fils, à titre d’Epoux des vierges, a reçus de son Père, mais il est indubitable que ses épouses l’y suivront de plus ou moins près, selon qu’elles l’auront plus ou moins imité sur la terre. Toutes pourront chanter le cantique de la virginité, celui que le Verbe, dès sa naissance éternelle (sans commencement et sans fin), chanta par l’Esprit-Saint au Père, qui, selon la divinité, l’engendra sans mère ; qui, dans le temps, devait par le même Saint-Esprit, le faire naître selon l’humanité, d’une mère sans père, d’une mère vierge par conséquent, et lui donner des vierges pour épouses, mais chacune de ces vierges aura sa partie dans ce merveilleux concert, et cette partie sera en rapport avec son degré d’amour.
» Indiquez-moi, ô vous qui êtes le Bien-Aimé de mon âme, où vous menez paître votre troupeau et où vous vous reposez à midi ! « Oh ! oui, » indiquez-moi « parce que c’est une chose fort cachée et fort secrète, dont la révélation apporte de grands biens à l’âme. Les principaux sont : le mépris des vains honneurs, l’oubli des choses visibles, l’élévation de l’esprit, le dégagement du cśur, la purification des sens, enfin, la jouissance anticipée et très purifiante du bonheur entrevu, jointe à l’estime, à l’amour, à la recherche fervente et pratique de tout ce qui peut y conduire.
Ou encore : » de peur que je ne m’égare « car pourquoi deviendrai-je comme une voilée, comme une vagabonde, en suivant les troupeaux de vos compagnons ? L’épouse demande à l’Epoux de ne pas l’exposer aux embûches de ses ennemis, de la retirer de plus en plus du commerce des créatures et de l’instruire si bien par lui-même, qu’elle soit le moins possible obligée de recourir à d’autres. Cette prière inspirée par la défiance de soi-même, par l’amour de la solitude et du silence, ne peut qu’être très agréable à l’Epoux, mais soit qu’il y entre quelque peu de pusillanimité, soit que l’épouse manque de liberté, ou qu’elle soit appelée à remplir près du prochain certains devoirs de charité, l’Epoux lui dit :
7. » Si vous ne vous connaissez pas ô vous qui êtes la plus belle de toutes les femmes, sortez et suivez les traces des troupeaux (de ma bergerie) et menez paître vos chevreaux auprès des tentes des pasteurs. «
Il n’y a pas tant de dangers à paraître quand on s’ignore. Mais il paraît bien que cette heureuse ignorance, qui est un fruit de l’humilité et de la simplicité, est avantageusement remplacée, ou par la reconnaissance qui fait remonter jusqu’à Dieu les dons que l’on a reçus de lui, ou par l’oubli de soi-même, qui est la parfaite abnégation, puisque l’Epoux semble l’ôter à son épouse en l’appelant » la plus belle de toutes les femmes. « Suivre les traces des troupeaux du divin Pasteur, c’est aller à lui par les saints. » Mener paître ses chevreaux auprès des tentes des pasteurs « c’est ne pas se fier à ses propres lumières pour la conduite des âmes. C’est ne pas les négliger sous prétexte d’oraison, attendu que l’Epoux ne veut pas plus pour épouse une marâtre qu’une vierge stérile.
8. » Je vous compare, ô ma bien-aimée, à la beauté de mes cavales (lorsqu’elles sont) attelées aux chars que j’ai reçus de Pharaon, « et qu’elles les tirent avec tant de grâce et de légèreté.
Ferveur sans agitation, générosité à toute épreuve. Aisance sous le joug du Bien-Aimé, sainte allégresse à son service.
Les chars de l’Epoux sont les âmes que son Père céleste lui a données. Liées à lui, par les glorieux attelages de l’amour, elles deviennent ses cavales par la parfaite docilité à la direction du Saint-Esprit, leur divin conducteur. En dehors de cette direction, dans les progrès, s’il y en a, au lieu de la souplesse, de l’agilité, de la sûreté, de l’uniformité, de la rapidité, attribuées par l’Ecriture et l’expérience à la course des cavales, on remarquera ou la fougue du cheval, ou la pesanteur de l’éléphant, ou l’orgueil du dromadaire, ou les caprices et la lenteur du mulet.
9. » Vos joues ont la beauté de la tourterelle ; on y voit de même une variété de couleurs qui relèvent l’éclat de votre teint …. «
(Ici s’arrête le manuscrit.)
Soeur Marie Aimée de Jésus o.c.d.
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