Une jeune enfant ne trouvant rien de beau, rien à son goût autour d’elle, que les beautés de la nature, parce que sa mère lui avait appris qu’elles étaient l’ouvrage immédiat de Dieu, et le crayon le plus ressemblant de ses adorables perfections, contemplait, un jour, un petit espace de cette nature virginale et toute empreinte des charmes qu’elle avait reçus de la Main créatrice. L’âme profondément recueillie, le corps immobile, l’enfant se disait à elle-même : tout produit dans la nature, n’y aurait-il que les vierges de Jésus qui seraient en dehors de ce privilège ? Vu en Dieu, il est réel, admirable. La terre, que je foule sous mes pieds, reçoit la pluie du ciel, produit des racines grâce à la semence, puis une tige, puis des feuilles, des fleurs, des fruits … Cette rose est entourée de ses boutons ; ce petit arbuste voit grandir autour de lui de nombreux rejetons ; la source forme de petits ruisseaux … Le roi prophète ne dit-il pas dans le Psaume : » La tourterelle a trouvé un nid pour y mettre ses petits ? » L’Esprit -Saint lui-même formait ces pensées dans l’esprit de la jeune enfant, en même temps que les sentiments purs et élevés qui se pressaient dans son cśur ; son âme ignorait alors qu’elle possédait le germe divin ! N’y aurait-il donc que les vierges, répétait-elle en regardant le ciel après la terre, leur manquerait-il donc une gloire ? Alors le Dieu des petits et des humbles lui répondit : Non, ma fille, à tout ce que j’ai créé, j’ai dit : » Croissez et multipliez. » Tel est l’ordre. » Multipliez-vous selon vos différentes espèces. » D’où il suit que chaque créature a sa fécondité particulière. A la Vierge, j’ai dit : » Croissez dans le Christ et multipliez le Christ ; » et parce qu’il s’agit d’un Dieu, votre fécondité, échappant à toutes les lois naturelles, sera unie à votre virginité intacte. Je ne suis né, selon la chair, qu’une seule fois et d’une seule Mère, qui est la Vierge Marie, mais je m’incarne, je suis conçu et enfanté, mystiquement et réellement, par les vierges qui peuvent être autant de Maries et de Mères de Dieu en ce sens tout spirituel et divin.
La virginité est donc le sacrement du Verbe, l’ombre qui le cache, ou bien le chandelier de pur métal, orné des sept dons du Saint-Esprit, comme autant de branches, chandelier sur lequel brille » Celui qui est la lumière du monde, » la Sagesse éternelle. Telle est la destinée faite par l’Epoux à la vierge son épouse.
La virginité, dans la pensée de Dieu, ne doit point être séparée de la fécondité divine. Jésus, qui en est le fruit béni, est nommé par l’Eglise, la pureté des vierges, la couronne des vierges ; et, comme Jésus fut l’Unique de Marie, il doit être aussi l’unique des vierges.
Mais elles doivent le multiplier dans des millions d’âmes : » Croissez dans le Christ, multipliez le Christ. «
Les vierges, certainement, ne doivent pas enfanter Jésus-Christ, comme Marie l’a enfanté dans le temps, de sa propre substance dans une joie ineffable, par l’opération du Saint-Esprit. Non, mais elles doivent enfanter Jésus-Christ en elles, comme Jésus-Christ lui-même les a enfantées à la grâce, c’est-à-dire spirituellement, perpétuellement, dans la douleur, la mort et l’amour. Or, cela se fait par la transformation.
Les vierges, par leur état et la pratique de la sainte transformation, sont appelées à être au Verbe quelque chose de ce que lui était, ici-bas, l’humanité sainte qu’il s’était unie, et qui lui servait comme de voile. Tout cela, cependant, doit s’entendre mystiquement et de la manière dont saint Paul disait : » Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. » En effet, et c’était bien en langage spirituel qu’il disait : » Vous êtes morts, » car, voulant faire entendre que cette mort n’excluait point une certaine vie, laquelle ne doit point cesser, il ajoutait : » Votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; » mais enfin » vous êtes morts, » dit-il. Tous les chrétiens par le baptême sont appelés à faire vivre Jésus-Christ en eux ; tous, avec l’eau régénératrice, reçoivent cette semence divine ; tous les chrétiens, en outre, qui communient se l’incorporent ; mais, par la profession religieuse, qui est une profession de virginité, les épouses du Verbe sont destinées, par état spécial, à le reproduire, à le continuer en elles-mêmes, comme lui étant unies, comme étant son sacrement ; en sorte que les vierges ne doivent point chercher une autre raison d’être que celle de donner vie à Jésus-Christ.
Revenons à l’admirable fécondité révélée à cet enfant, écoutons la suite de son oraison : Dans cet extase de bonheur et de pureté, dit-elle, le céleste époux me fit encore comprendre de quelle confusion, de quel opprobre temporel ou éternel seront couvertes les vierges stériles dans le Christ, et quel horrible et cruel châtiment est réservé aux vierges adultères qui ont laissé leur esprit concevoir des pensées vaines ou mauvaises, leur cśur enfanter des sentiments étrangers et dangereux, leurs membres opérer des śuvres inutiles ou de péché. Il lui montra encore la gloire qui doit couronner les vierges fidèles qui ont su, après s’être unies au Verbe, le faire naître et grandir en elles et lui donner croissance jusqu’à l’âge parfait, au prix de leur propre destruction. Alors le sacrement cessera ; le signe, l’apparence tombera, il n’y aura plus, pour ainsi dire, que le Christ !
Ravies de ces pauvres considérations, vierges, répétons souvent ces paroles de sainte Agnès : » J’aime le Christ ! en l’aimant, je suis pure ; en m’unissant à lui, je suis chaste ; en l’embrassant, en l’enfantant, je suis vierge. » Bien plus, c’est pour cela que nous sommes vierges, c’est notre raison d’être … Mettons-nous bien dans l’esprit que l’enfantement mystique de Jésus-Christ auquel nous sommes destinées, ne s’opère que par un saint commerce d’amour et de pureté avec le Père céleste et le divin Esprit, que le consentement nécessaire est, de notre part, une adhésion continuelle à la mort à nous-mêmes par la fidélité. Enfanter Jésus-Christ, reproduire Jésus-Christ, se revêtir de Jésus-Christ, faire grandir Jésus-Christ, devenir un autre Jésus-Christ, est une seule et même opération. Pour l’enfanter, il faut mourir ; pour le reproduire, s’effacer ; pour devenir un autre lui-même, cesser d’être soi-même ; pour le faire croître, diminuer et s’anéantir : c’est encore une seule et même opération. Ce saint commerce d’amour et de pureté, cette fidélité à mourir à soi-même, ces deux opérations se trouvent tellement jointes en la sainte transformation, qu’elles ne peuvent se séparer sans que tout l’édifice s’écroule.
Considérons encore qu’une seule chose est nécessaire pour arriver à cette consommation en Jésus-Christ, et ne la cherchons nulle part ailleurs que dans le regard amoureux sur sa divine Personne, comme lui-même l’avait continuellement fixé sur son Père céleste.
Soeur Marie Aimée de Jésus o.c.d.
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