Jésus-Christ étant le Fils unique du Père et voulant en quelque sorte glorifier son Père mille et mille fois plus qu’il ne le glorifie, s’est voulu multiplier lui-même.
C’est pourquoi il s’est voulu multiplier dans les fidèles, de là l’institution de la Communion. Il aurait pu s’en tenir à celle de sa présence réelle. Comme il ne peut plus s’incarner, naître, mourir pour son Père et pour nous, il a institué ce Sacrement afin de renouveler continuellement ces grands actes. Les mépris, bien loin de le rebuter, l’ont engagé à cause de l’amour qu’il peut par là témoigner à son Père et aux hommes.
La fin de la Communion est de nous faire devenir d’autres Jésus-Christ, afin que Jésus-Christ soit multiplié même quand les espèces sont consommées. J’ai compris la gloire qui revenait à Dieu de la communion, et si je prêchais, je serais l’apôtre de la communion fréquente.
Notre-Seigneur me montra dans une vision intellectuelle comment il est dans l’Hostie ; comment, par la consécration, le pain et le vin sont changés au Corps et au Sang de Jésus-Christ, de sorte qu’il ne reste plus que les apparences ; comment elles subsistent et sont un voile au Sacrement. C’est ce que je croyais, mais quelle différence entre croire et voir, et encore entre croire sans voir et croire ayant vu.
J’ai vu comment le corps de Jésus-Christ, sans rien perdre de sa grandeur naturelle, se proportionne à celle de l’hostie, son corps étant spirituel et glorieux, participant aux qualités de l’esprit, ce qui fait qu’il est subtil et non massif, comme les nôtres ici-bas. La comparaison, quoique imparfaite, de l’air ou de la vapeur s’engouffrant dans un tuyau, aide à comprendre ceci. Ce qui est subtil se proportionne.
Je regardai l’hostie des yeux du corps après avoir vu, voyant même encore Jésus-Christ et voyant des yeux de l’âme les autres merveilles qu’elle renferme. Oh ! que l’hostie me parut pauvre, indigente, faible, misérable ; ou, pour mieux dire, que l’état dans lequel Jésus-Christ paraît à nos yeux dans ce mystère est vil et abject. Quelle humilité ! Quelle misère ! Alors l’amour m’embrasa, et, le dirai-je, cette seconde vue m’enflamma plus que la première. Il est vrai que celle-ci ne m’eût pas fait tant d’impression si je n’eusse pas eu l’autre. La raison pour laquelle la première vue m’enflamma moins est celle-ci : Encore que Dieu, voulant me donner cette vision, y préparât mon âme, l’étendant, développant prodigieusement ses puissances, les affermissant, les fortifiant, les rendant plus vives, plus puissantes, plus pures surtout, néanmoins elle demeura dans une telle admiration lorsque la vision se montra, dans un tel étonnement, dans une telle suspension, qu’il lui sembla que rien n’agissait en elle. Mon cœur, mes sens, la partie inférieure de l’âme (car la vision était dans la partie supérieure) restèrent dans le calme …, ils partagèrent la stupéfaction de l’âme. Puis vint un moment où tout mon être prenant feu se changea en voix pour louer et bénir Dieu ; c’est-à-dire qu’après l’extase, vinrent les attendrissements, les transports, mais tout continuait à se faire avec calme et dans une élévation d’esprit inexprimable.
En regardant l’hostie des yeux du corps et ne voyant rien absolument de ce que je voyais des yeux de l’âme, je ne pouvais assez m’étonner de mon aveuglement. Quand je pense à cette indigence de Jésus au Saint Sacrement, je voudrais qu’on me dépouillât de tout, je voudrais n’avoir plus, pour me couvrir, que de pauvres haillons. Quand je vois son humilité, sa disparition, et comme il paraît différent de ce qu’il est, mon amour pour la vie cachée augmente au delà de tout ce que je puis dire, et je souhaite que les grâces que je reçois demeurent à jamais cachées. Quand je réfléchis que c’est par amour pour nous qu’il est dans cet état, et que souvent ses créatures en profitent pour l’outrager (car si elles le voyaient comme je le vois, nulle n’oserait commettre la plus légère irrévérence), je suis percée de douleur et je voudrais ne plus recevoir que mauvais traitements, injures, mépris, humiliations ; je voudrais plus encore, je voudrais me mettre à la place de Jésus dans son sacrement pour recevoir les injures qu’on lui prodigue et m’écarter quand on l’adore. Je voudrais pouvoir me vendre, échanger avec lui sa prison, faire enfin pour Lui ce que le dévoûment inspire pour les captifs, ou pour les condamnés, le délivrer des mains de ses ennemis ….
Non, tout ce que j’ai lu ou entendu dire de la pauvreté, de l’humilité, de l’amour de Jésus-Christ en l’hostie, n’est rien auprès de ce que je vois. Et tandis que ces dernières vues me portent à l’amour de la pauvreté, de l’abjection, de la vie cachée et des humiliations, les premières, celles de sa gloire en ce Sacrement, m’inspirent un respect profond, et l’amour qui résulte de ces vues différentes est tel, que je ne voudrais plus quitter le tabernacle, mais y demeurer nuit et jour avec les anges. La misère des plus pauvres églises n’est rien auprès de celle des accidents ; d’autre part, la richesse des somptueuses n’est que pauvreté, auprès de la gloire de Jésus-Christ au Très Saint Sacrement.
Par la sainte Communion, Jésus-Christ nous absorbe comme, par la consécration, il absorbe le pain et le vin, il ne reste plus que leurs apparences ; de même, il ne reste plus que notre apparence ; Jésus-Christ est tout en nous, nous subsistons en lui. Mais il y a cette différence que le pain et le vin n’existent plus, les apparences seules subsistent tandis que nous, nous existons, mais tellement en Jésus-Christ que Dieu lui-même ne voit plus en nous que Jésus-Christ. Comme nous sommes puissants après la communion pour obtenir tout de Dieu ! car ce n’est plus nous qui prions ! Comme tous nos actes glorifient Dieu, car ce n’est plus nous qui agissons …. Qui pourrait dire la complaisance du Père pour son Fils en ce sacrement, et sa complaisance pour ceux qui le reçoivent en connaissant le don de Dieu !….
J’ai vu comment Jésus-Christ est tout entier dans l’hostie et dans chaque partie de l’hostie, car si Jésus-Christ n’était pas dans chaque partie, avant la réception de l’hostie, il pourrait être divisé quand on la diviserait, il en serait de même à mesure que les accidents se consommeraient en nous. Je vois que Jésus-Christ est attaché aux accidents comme l’âme l’est au corps, et que tant qu’il y a quelque peu des espèces, Jésus-Christ est notre captif et demeure en nous. Lorsqu’elles se détériorent, Jésus-Christ se retire de l’hostie ; ainsi ceux qui communient bien demeurent d’autres Jésus-Christ, non plus par l’acte même de la communion, mais par l’effet de la communion. Alors une vue me fut donnée de ces multitudes d’âmes qui possèdent Jésus-Christ, et dans lesquelles Jésus-Christ se multiplie continuellement. Ici Jésus-Christ, là Jésus-Christ, partout Jésus-Christ, mais un seul Jésus-Christ reproduit des millions de millions de fois, non en image, mais en réalité, mais en personne.
Notre-Seigneur m’a montré combien il est aimable au Saint Sacrement : dans son institution, quelle invention divine et admirable !… Sur l’autel, quel sacrifice auguste !… Entre les mains du prêtre, quelle obéissance incompréhensible !… Dans nos âmes surtout, comme il sait bien alors lever les voiles, nous parler, nous consoler, nous guérir, nous sanctifier. Qu’il est aimable, dans le Tabernacle où il nous attend nuit et jour, où il prie continuellement pour nous !…
Notre-Seigneur m’a montré pendant mon action de grâces comment il nous identifie à lui, nous transforme en Lui, opérant cette transformation peu à peu. Il me la montrait comme successivement, car elle s’opère instantanément comme Il me l’a fait connaître. Son intelligence va droit à notre intelligence, sa mémoire à notre mémoire, sa volonté à notre volonté. Oh ! que ne puis-je montrer ceci en détail, comme je l’ai vu !
Cette transformation n’a pas lieu dans celui qui communie indignement, parce qu’il n’y a pas union des volontés. J’ai vu comment celui qui communie indignement fait violence à Jésus-Christ, l’obligeant en quelque sorte à demeurer lié à un mort, comme autrefois certains martyrs.
Un peu avant, dans une autre communion, Notre-Seigneur m’avait montré comment il nous sanctifie par la réception de lui-même. Par la sainte Communion nous subsistons tous en lui, car la communion n’est pas l’anéantissement de nous-mêmes, mais notre transformation en Jésus-Christ si cette transformation n’est pas complète, par rapport aux vertus, aux dispositions, c’est que nous y apportons des obstacles, tellement que si nous étions absolument affranchis de tout obstacle, nous serions saints après la communion ; non pas cependant comme les saints du ciel qui ne peuvent plus pécher, la communion ne nous rendant pas impeccables. Elle ne nous confirme pas en grâce, car les éléments de notre personnalité subsistent et nous retrouvons en nous, malgré la communion, l’ignorance et la concupiscence, bien que l’Eucharistie les diminue en nos âmes. Et lors même que, par l’acte de la communion, Notre-Seigneur détruirait nos mauvaises habitudes et nos passions, nous ne laisserions pas d’être après, et même pendant, sujets au péché. Il en est de nous comme de la terre qui, depuis le péché, ne produit d’elle-même que ronces et épines. Mais il lui arrive, par la communion, ce qui arrive à un champ dont on a arraché les mauvaises herbes, et dans lequel on a jeté une bonne semence après l’avoir labouré. Au bout de quelque temps il produira encore des herbes parasites, mais bien moins, et si l’on continue à le cultiver avec soin, elles disparaîtront de plus en plus, c’est à peine si l’on en verra poindre quelques-unes. Voilà les effets de la communion bien reçue.
En entendant devant le tabernacle sonner l’horloge, Notre-Seigneur m’a fait comprendre ce que c’était devant son Père qu’ » une heure de plus dans cette prison d’amour, « et dans l’état où il s’y tenait, quel retentissement chacune de ces heures avait dans l’éternité. Celui qu’elle avait dans mon cœur m’en donnait une idée. Notre-Seigneur me parla alors des grandes heures de sa vie : celle de son incarnation, de sa naissance, de sa présentation au temple, etc. Et je vis que toutes celles du tabernacle étaient équivalentes ….
Et maintenant lorsque je baise la terre devant le Saint Sacrement, je voudrais ne plus me relever mais rester en cette humble posture ! Et quand je fixe l’hostie, ou même l’autel, je ne vois pourtant pas Notre-Seigneur des yeux du corps, mais alors, pourquoi est-ce que dans cet état je le trouve si aimable ?… C’est un mystère sans doute … mais aussi c’est que je le vois des yeux de l’âme !…
Enfin j’ai vu comment les Anges communiaient, comment nous communierons nous-mêmes éternellement. J’ai compris que, bien que les anges et les saints qui sont au ciel ne communient pas comme nous à l’Eucharistie, l’Eucharistie a cependant pu être appelée le Pain des Anges et le Froment des Elus.
Soeur Marie Aimée de Jésus o.c.d.
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